Les entreprises de transport et de logistique au Canada font face à une crise majeure avec l’imposition de nouveaux tarifs douaniers par les États-Unis.
Depuis le 4 mars, une taxe de 25 % s’applique sur la plupart des produits exportés vers les États-Unis, et une autre de 10 % touche le secteur énergétique.
En réponse, le gouvernement canadien a annoncé des mesures de représailles, appliquant des tarifs similaires sur une variété de produits américains. Cette escalade tarifaire affecte directement le secteur du camionnage, augmentant les coûts, perturbant les routes commerciales et menaçant de nombreux emplois.
Le secteur du transport repose sur des ententes commerciales à long terme. Mais avec ces nouvelles barrières, les entreprises doivent s’adapter rapidement à un environnement incertain. Certains importateurs ont tenté d’anticiper en faisant entrer un maximum de marchandises avant la date limite, mais cette stratégie ne peut fonctionner qu’un temps.
Selon Julia Kuzeljevich, directrice des politiques de l’Association canadienne des transitaires internationaux, on s’attend maintenant à un ralentissement des expéditions, car les entreprises cherchent à limiter l’impact des tarifs. Même si les transporteurs sont habitués à s’adapter, les coûts supplémentaires seront inévitables.
L’industrie de l’emballage en bois est durement touchée. Scott Geffros, directeur de l’Association canadienne des palettes et conteneurs en bois, rapporte que plusieurs entreprises canadiennes songent à réduire leurs activités, à déplacer leur production aux États-Unis ou même à fermer. À long terme, une baisse du volume de marchandises expédiées pourrait faire grimper le prix des palettes, ce qui augmenterait encore plus les coûts pour les transporteurs et les consommateurs.
Le marché du travail est aussi en danger. Selon Mike Millian, président du Private Motor Truck Council of Canada, environ 120,000 chauffeurs canadiens dépendent du transport transfrontalier. Si les volumes diminuent, certaines entreprises pourraient être obligées de licencier des employés ou même de fermer leurs portes.
Les manufacturiers, les importateurs et les exportateurs font face à un dilemme. Paul Glionna, vice-président de Universal Logistics, explique que ses clients hésitent entre absorber ces coûts ou repenser complètement leur chaîne d’approvisionnement. Changer de fournisseur peut prendre plusieurs mois et coûter très cher, mais payer ces tarifs imposés pourrait être tout aussi insoutenables.
Les impacts des tarifs ne se limitent pas seulement au Canada. Aux États-Unis, l’industrie du camionnage est elle aussi en crise. Selon Jason Miller, professeur de gestion de la chaîne d’approvisionnement à l’université de Michigan State, les transporteurs doivent déjà se préparer à une année 2025 difficile. Il prévient que ces nouvelles mesures vont causer des délais aux postes frontaliers, augmenter le coût des camions de classe 8 et perturber l’ensemble des réseaux de transport.
Selon lui, certaines entreprises tireront parti de cette nouvelle dynamique, mais la majorité en subira les conséquences négatives. L’American Trucking Associations (ATA) a d’ailleurs dénoncé ces tarifs, estimant qu’ils vont “annuler les progrès réalisés” depuis le nouvel Accord États-Unis-Mexique-Canada (AEUMC) entré en vigueur en 2020. L’ATA met en garde : moins de transport transfrontalier signifie plus de camions à l’arrêt et des coûts opérationnels plus élevés.
Les courtiers en douane sont aussi affectés. Habituellement, certaines entreprises paient directement les frais de douane, tandis que d’autres passent par des courtiers qui avancent ces montants. Avec l’augmentation des tarifs, ces courtiers prennent un plus grand risque financier. Si une entreprise cliente fait faillite, elle laisse derrière elle des dettes de droits de douane qui restent à la charge du courtier. Avec l’instabilité actuelle, plusieurs entreprises risquent de disparaître, ce qui pourrait créer un effet domino dans le secteur du transport et de la logistique.
Les prix du carburant sont également en hausse, et l’impact se mesure déjà dans la région de la Nouvelle-Angleterre, aux États-Unis, qui dépend fortement des importations de carburant raffiné du Canada. Irving Oil, un grand fournisseur de la région, a augmenté ses prix de 20 cents le gallon dès l’entrée en vigueur des nouveaux tarifs. Comme cette hausse ne correspond pas aux variations normales du marché pétrolier, elle risque de faire grimper le coût du transport et d’affecter l’ensemble de l’économie.
L’Association du camionnage de l’Atlantique tire la sonnette d’alarme. Selon son directeur, Chris McKee, ces tarifs arrivent à un très mauvais moment, alors que l’industrie traverse déjà une récession du transport de marchandises. Il rapporte que plusieurs clients ont annulé leurs commandes dans les semaines précédant l’entrée en vigueur des tarifs, et que certains transporteurs ont subi une baisse de volume allant de 20% à 80%. Les camionneurs qui transportent du bois d’œuvre, des fruits de mer ou des produits réfrigérés seront parmi les plus touchés.
Face à cette situation, l’Association demande au gouvernement fédéral de réagir rapidement. Elle recommande notamment d’abolir la taxe carbone, qui coûte entre 15,000$ et 20,000$ par camion chaque année, et de réduire la taxe d’accise sur le diesel. Des mesures d’aide financière sont aussi nécessaires pour éviter des faillites en série et préserver l’emploi.
Les experts du secteur mettent en garde contre un effet de “choc culturel” pour de nombreuses entreprises qui n’avaient jamais eu à payer de tarifs auparavant. Des courtiers en douane rapportent une explosion d’appels de clients paniqués cherchant à comprendre comment payer les nouveaux droits d’importation, un processus qui exige désormais une mise en conformité avec les services des douanes américaines. Cette situation illustre bien la confusion et l’impréparation générale face à ces nouvelles restrictions.
“Le contrecoup que nous avons dans le camionnage, c’est une possible perte d’affaires qui pourrait être très importante et venir impacter notre industrie. Le portrait complet, il va se développer au fil des semaines à venir. Quelle sera la vraie tendance, ni vous ni moi avons la boule de cristal pour savoir comment Monsieur Trump va réagir”, expliquait Marc Cadieux, PDG de l’Association du Camionnage du Québec au 95,7 fm.
L’incertitude demeure quant à l’évolution de cette guerre commerciale. Une chose est certaine : les camionneurs et les entreprises de transport sont en première ligne de cette crise, et les impacts risquent d’être ressentis dans l’ensemble de l’économie canadienne et nord-américaine.