Johanne Baril, mairesse de Val Rita-Harty, une municipalité située au nord de l’Ontario, tire la sonnette d’alarme sur les graves problèmes liés au transport et à la route 11/17, un corridor vital mais tristement célèbre pour sa dangerosité.
Ces enjeux de sécurité routière et les conséquences des stratagèmes entourant les conducteurs mal formés et exploités, notamment les chauffeurs inc, dépassent largement les frontières du Québec. À travers le Canada, différentes régions sont confrontées à des réalités parfois distinctes mais tout aussi éprouvantes, où les dangers sur les routes et le manque d’encadrement mettent à rude épreuve le quotidien des citoyens.
“Ça ne va pas bien du tout, malgré les efforts du ministère des Transports de l’Ontario. Il y a énormément de problèmes sur nos routes.”
“Le transport effectuait un dépassement, il a franchi la double ligne jaune pour dépasser un autre camion en montant une côte, dans une courbe! Lui, quand il a vu ça arriver, il a pris le shoulder. Mais il y avait de la neige sur la route, sur le shoulder. Alors, la petite van, on sait ce qui arrive quand on prend le shoulder à pleine vitesse, 90 à 100 km/h. (…) Il a été éjecté de sa van, on l’a retrouvé à des mètres, à plat ventre, dans la neige. Le fait qu’il a survécu à cet accident, sans séquelles à long terme, c’est un miracle.”
(VIDEO ICI) Cet accident, combiné à trois autres survenus la même journée, dont un mortel, a mis en lumière l’urgence de revoir les normes de sécurité et de mieux encadrer le transport commercial croissant dans la région.
“J’ai téléphoné notre premier ministre Ford directement, (…) et c’est là qu’ils ont pesé sur le fameux piton pour établir ce groupe de travail-là, auquel j’ai participé.”
Des conducteurs mal formés, un danger public
Mme Baril n’hésite pas à dénoncer le problème systémique des conducteurs mal formés, en particulier dans le cadre de stratagèmes frauduleux qui permettent à des individus d’obtenir des permis de conduire pour véhicules lourds sans formation adéquate.
“Le problème, je crois, est pancanadien. Ce n’est pas seulement en Ontario que nous avons ce problème-là. Vous savez très bien, à Truck Stop Québec, c’est un problème qui existe au Québec, qui existe au Manitoba, qui existe même dans les grandes villes. Les voyageurs, les gens qui conduisent des camions lourds n’ont pas nécessairement la formation requise pour voyager dans l’ensemble du Canada et malheureusement, ce sont les usagers qui prennent le coût de ces accidents-là.”
Des enquêtes, comme celle menée par CBC Marketplace, ont révélé des pratiques douteuses où, contre une enveloppe brune, il est possible d’obtenir un permis de conduire commercial. Ces stratagèmes exploitent souvent des travailleurs immigrants mal préparés à affronter les conditions hivernales des routes canadiennes.
De plus, Mme Baril souligne que les entreprises qui abusent d’eux imposent une pression constante sur leurs chauffeurs, les forçant à rouler plus vite pour respecter des calendriers irréalistes. Souvent, ces conducteurs se retrouvent à travailler en équipe de trois, sous la menace de sanctions, simplement pour tenter de recevoir leur rémunération. Cette exploitation des chauffeurs est un symptôme d’un problème plus vaste, celui des stratagèmes entourant les ‘chauffeurs inc.’.
“Ça n’a pas de bon sens! Ils ne savent pas dans quoi ils s’embarquent ces gens-là. Ces entreprises qui les font immigrer au Canada avec l’espoir d’avoir un travail avec une rémunération pour pouvoir vivre au Canada et vivre un rêve, ce n’est pas toute la réalité. Ces gens se font embarquer dans un stratagème et ils sont lâchés lousse avec zéro formation, ils ne savent pas reculer même! Ils arrivent au Canada, ils arrivent dans le nord de l’Ontario, c’est triste.”
Chauffeurs inc. : coûteux, dangereux et ignorés par les autorités
Les pratiques entourant les ‘chauffeurs inc.’ représentent un problème majeur. Ces stratagèmes, qui permettent à certaines entreprises de contourner leurs obligations fiscales et légales, privent la province de milliards de dollars en revenus. Pourquoi les gouvernements ignorent-ils ce fléau?
“Il y a un manque de courage,” déclare-t-elle. “C’est triste qu’on a ça au Canada. On permet ça dans notre pays qu’il y a ces entreprises qui abusent de ces travailleurs d’un autre pays et en plus, ces entreprises se forment des compagnies d’assurances pour assurer leur propre camion, et on permet ça…”
Mme Baril observe une réticence des politiciens à aborder directement le sujet, craignant de nommer les choses telles qu’elles sont. Ce silence contribue à perpétuer un système injuste qui exploite des travailleurs vulnérables, souvent des immigrants, tout en mettant en péril la sécurité des routes canadiennes.
Injustices et frustrations
Paradoxalement, les camionneurs expérimentés canadiens sont soumis à des exigences rigoureuses pour renouveler leurs permis, tandis que des conducteurs mal formés prennent la route sans supervision adéquate. En Ontario, le renouvellement des permis commerciaux tous les cinq ans inclut des tests de vision, des examens théoriques et des rapports médicaux réguliers pour les camionneurs qui ne sont pas de nouveaux-arrivants, un processus souvent compliqués et contraignants. La fréquence de cette exigence dépend de l’âge du conducteur.
“Ce sont nos bons truckers qui ont de la misère à passer leur licence, et on a des nouveaux arrivants avec des entreprises frauduleuses qui se font embarquer et qui conduisent ces camions-là.”
Cette situation provoque un sentiment d’injustice et alimente la grogne au sein de l’industrie, tout en augmentant les tensions sociales.
Des solutions urgentes nécessaires
Mme Baril insiste sur la nécessité d’uniformiser les règles de formation et d’évaluation des conducteurs commerciaux à travers le Canada, en proposant des tests supervisés par des représentants provinciaux. Elle pense notamment à des propositions comme une forme de reconnaissance des acquis.
“On devrait donner un time-line, par exemple, en-dedans de un an, tous vos camionneurs doivent passer un test de conduite. Pas dans la cour de l’entreprise, mais avec un représentant de la province…”
En février 2023, le Groupe de travail a présenté un rapport contenant des recommandations telles que l’élargissement de certaines routes, l’amélioration des aires de repos et le renforcement de la formation des conducteurs. Cependant, ces propositions semblent s’être perdues dans les méandres bureaucratiques.
“Mais depuis, on n’a rien entendu parler. Rien.” Et pendant ce temps… “On a tous peur de prendre la route! C’est bien évident.”
Ce sont toujours les mêmes endroits problématiques qui reviennent. Selon la mairesse, le ministère des Transports est bien conscient de ces zones à risque, mais le manque de personnel sur le terrain limite la mise en place de mesures de surveillance et de contrôle, comme les points de vérification. L’autoroute 11/17 est immense, et on ne peut pas placer du personnel à chaque courbe ou tronçon problématique, explique-t-elle sur nos ondes.
Les défis liés au camionnage demeurent une source d’inquiétude constante pour les résidents, qui vivent dans une peur quotidienne, tout comme les usagers et camionneurs provenant d’autres régions. Certains, terrifiés par les risques grandissants, ont même choisi de quitter la profession parce qu’ils ont carrément peur de se faire tuer sur cette route.
Une crise qui perdure
“Regardez, les ports canadiens sont en grève. Ils ont l’attention. Faut-il fermer nos autoroutes jusqu’à temps que nos provinces travaillent ensemble? Est-ce que c’est ça qu’il faut faire? Ce qu’on fait en ce moment ne fonctionne pas. Comment sonner la cloche?”
Face à l’inaction, elle affirme avec inquiétude et tristesse que d’autres vies seront perdues avant que des changements significatifs soient mis en place.
Écoutez l’entrevue :