Le secteur du dépannage routier pour les véhicules lourds au Québec a connu des jours meilleurs. Entre les impacts de la pandémie et le ralentissement économique qui a frappé durement l’industrie des véhicules lourds, les défis sont nombreux.
L’APDQ, qui représente 358 membres sur les 382 entreprises québécoises ayant des ententes avec les corps policiers ou les clubs automobiles d’assistance routière, est au cœur des enjeux de cette industrie essentielle.
“Dans notre industrie, au début de 2019, la baisse du remorquage lourd a suivi une diminution des collisions d’environ 30 à 35%. C’est un impact important pour les compagnies de remorquage qui avaient investi dans des dépanneuses performantes pour circuler sur le réseau routier et intervenir pour les corps policiers, entre autres.”
Les coûts liés aux équipements nécessaires dans le secteur du dépannage routier ne sont pas à prendre à la légère. Une dépanneuse performante et conforme aux exigences réglementaires représente un investissement considérable, souvent chiffré à plusieurs centaines de milliers de dollars. Ces véhicules spécialisés doivent être équipés de technologies avancées pour assurer des interventions sécuritaires et efficaces (répartition des charges au groupe d’essieux lorsqu’un véhicule lourd est remorqué en porte-à-faux) sur le réseau routier, que ce soit lors de collisions ou d’autres situations d’urgence.
À cela s’ajoutent les frais d’entretien régulier, les inspections obligatoires pour respecter les normes, et les coûts liés à la disponibilité 24/7, qui nécessitent une main-d’œuvre qualifiée. Ces dépenses, essentielles pour offrir un service rapide et fiable, pèsent lourdement sur les épaules des entreprises de remorquage, surtout dans un contexte économique où les marges de profit sont de plus en plus serrées.
“Maintenant, on a des protocoles d’entente avec les corps policiers au Québec, qui exigent d’avoir un minimum de véhicules pour intervenir. Et à ce moment-là, on est obligé d’être en mode disponibilité 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. On fait partie des quatre premiers intervenants, après les agents de la paix (policiers et contrôleurs routiers), les pompiers et les ambulanciers. Une fois qu’ils ont fait leur travail au préalable, ils ont besoin de quelqu’un pour dégager les véhicules, et c’est nous qui, par entente, intervenons. Bien entendu, en faisant respecter la loi sur le PEVL, on se doit d’avoir des véhicules en ordre pour intervenir en tout temps.”
Malheureusement, dans l’industrie, une minorité d’entreprises frauduleuses ternissent la réputation et le travail acharné de nombreux transporteurs honnêtes, et les remorqueurs ne font pas exception à cette réalité. Certaines entreprises exploitent des stratagèmes douteux, comme l’emploi de chauffeurs incorporés pour contourner le système. De ce groupe, certains vont encore plus loin en obtenant des papiers d’assurance, qu’ils annulent quelques jours plus tard, leur permettant de circuler avec des camions qui, en réalité, ne sont pas assurés.
Même si ces véhicules continuent de rouler sur les routes et franchissent les postes de pesée, les contrôleurs routiers n’ont ni les outils ni le pouvoir légal pour détecter ou intervenir face à de telles pratiques frauduleuses. Ce laxisme structurel alimente un sentiment d’injustice parmi les professionnels respectant les règles, tout en créant des risques pour la sécurité routière.
“C’est le sujet de l’heure depuis quelque temps. Jusqu’à il y a quelques mois, je recevais environ 3 à 5 appels par mois de certaines compagnies de remorquage au Québec, que ce soit en région urbaine, semi-urbaine ou rurale, qui avaient des problématiques avec cette clientèle-là. Par contre, depuis quelques semaines, ce chiffre est passé à 5 ou 6 appels par semaine, et même depuis dix jours, c’est devenu une fois par jour. Ce phénomène est vraiment problématique et représente une responsabilité partagée entre tous les paliers gouvernementaux.”
Lorsqu’un remorquage est nécessaire, l’appel provient généralement des corps policiers. En vertu de l’entente en place, cela confère une forme d’exclusivité aux entreprises de remorquage pour intervenir dans un territoire donné. Cependant, cette exclusivité s’accompagne d’une obligation d’intervenir pour tout type de véhicule, peu importe la situation : qu’il s’agisse d’un véhicule immatriculé au Québec ou à l’extérieur, d’une panne, d’un enlisement ou encore d’une collision. Les remorqueurs doivent répondre à la demande des autorités, quelles que soient les circonstances.
Par ailleurs, des ententes existent également avec le ministère des Transports du Québec (MTQ) pour un réseau de remorquage exclusif sur les autoroutes de la région de Montréal.
“Lorsqu’on arrive sur une scène, par contre, la partie payeur n’est pas le demandeur (agent de la paix). La partie payeur, c’est le client qui a fait l’objet d’une collision ou d’un enlisement. Donc, ce qui arrive depuis un an ou deux, c’est que lorsque nous terminions un enlisement, par exemple, d’un véhicule lourd qui pouvait repartir par la suite, au moment de produire la facture, le conducteur, quand on était capable de le comprendre, nous disait qu’il ne voulait pas payer la facture parce que ce n’était pas lui qui avait fait l’appel, mais les autorités.”
Le problème actuel pousse plusieurs entreprises de remorquage à ne plus renouveler leurs ententes avec les autorités policières. Elles souhaitent éviter d’être obligées d’intervenir dans des situations similaires, où les risques de non-paiement sont élevés. En se retirant de ces ententes, elles peuvent choisir de travailler uniquement avec des compagnies crédibles, offrant des garanties de paiement solides, afin de minimiser les pertes financières.
Un incident survenu récemment illustre bien la problématique. Hier soir, sur l’autoroute 15, près du viaduc du Souvenir, un transporteur appartenant au type communément appelé “Driver Inc” a causé une situation critique. Son camion, en mauvais état mécanique, a subi une défaillance de l’arbre de transmission (driving shaft). Cette défaillance a perforé les deux réservoirs de diesel, remplis quelques instants plus tôt, provoquant une fuite massive.
“Imaginez-vous, sur un demi-kilomètre, il y avait du diesel répandu sur le réseau autoroutier. Et avec la pluie annoncée aujourd’hui, que pensez-vous qu’il va arriver… La compagnie de remorquage qui était sur place, bien entendu, est intervenue et a utilisé un minimum de 200 sacs d’absorbant. Ensuite, un balai mécanique a été utilisé pour récupérer le reste. Mais on sait très bien qu’un contaminant sur une surface comme l’asphalte, par exemple, ne peut jamais être retiré à 100%. Pour ceux qui vont circuler là aujourd’hui, si vous voyez une tâche noire d’un demi-kilomètre sur l’autoroute 15, c’est le résultat du modèle Driver Inc.”
Autre cas récent dans la région de Chapais-Chibougamau, un camion-remorque appartenant à un Driver Inc est enlisé depuis maintenant une semaine. Aucune compagnie de remorquage n’accepte d’intervenir. La raison principale est qu’il est impossible de joindre les propriétaires. Et lorsqu’ils parviennent à les contacter, la langue utilisée n’est ni le français ni l’anglais, et que la communication n’est pas possible.
La Sûreté du Québec (SQ) insiste pour que le véhicule soit retiré, et Environnement Québec a même été appelé la semaine dernière, car les réservoirs du camion sont également endommagés, posant un risque environnemental supplémentaire.
“Je peux vous confirmer aujourd’hui qu’il y a des orignaux qui boivent du diesel. À 9km de Chapais en allant vers l’Abitibi, il y a un camion-remorque qui est enlisé, appartenant à ce type de clientèle. Si ça avait été un transporteur québécois, on n’en ne serait pas là.”
Dans des situations comme celle-ci, l’appel initial provient généralement du responsable de la sécurité routière de la Sûreté du Québec (SQ). Lorsque le véhicule enlisé circule en vertu des droits accordés par la SAAQ, qui gère les immatriculations, cela ajoute une couche de complexité. La SAAQ a des ententes de réciprocité avec les autres provinces canadiennes, permettant aux Québécois de circuler hors province, et vice-versa pour les conducteurs d’autres provinces venant au Québec. En autorisant ce type de véhicule à circuler, la SAAQ endosse une part de responsabilité, et de plus, ces véhicules utilisent finalement un réseau routier appartenant au ministère des Transports du Québec (MTQ).
Actuellement, la SQ, la SAAQ, le MTQ et, dans le cas présent à Chapais, Environnement Québec, sont tous impliqués dans la gestion du dossier. Sur le plan opérationnel, ces quatre intervenants sont sollicités. Nous sommes face à une responsabilité commune dont aucune partie ne doit fermée les yeux!
Mais lorsqu’on ajoute un cinquième acteur, Revenu Québec, la problématique s’intensifie avec les chauffeurs incorporés. Revenu Québec n’a pas la capacité de percevoir les DAS (déductions à la source) ou les impôts dus par ce type de clientèle, ce qui représente une échappatoire fiscale majeure. Au niveau de l’équité concurrentielle dans le camionnage, les transporteurs québécois sont gravement affectés, explique M. Breton. Ils ne peuvent pas rivaliser avec les prix à la baisse de transporteurs qui utilisent des camions de 25 ou 30 ans d’âge, non conformes à la réglementation québécoise.
“C’est pour ça qu’au niveau du dépannage routier, notre problème n’est pas nécessairement le même problème que le camionnage, mais, par contre, on a la même clientèle,” ajoute M. Breton. “Nous, l’APDQ, demandons aux paliers gouvernementaux nommés précédemment qu’ils puissent trouver une piste de solution commune, avec nous en partenariat, qu’on appelle la garantie de paiement pour l’industrie du remorquage au Québec. À noter que cette procédure légale de garantie de paiement existe actuellement en Ontario car cette province a vécu, avant le Québec, l’apparition de ce même fléau malhonnête.”
C’est pour ces raisons qu’une garantie de paiement est demandée. Lorsque les autorités contactent des remorqueurs et que l’entreprise responsable prend des mesures administratives préalables pour assurer le paiement, mais que cela échoue, le gouvernement pourrait intervenir. Il s’agirait alors de compenser les frais engagés par les remorqueurs et de classer cette facture sur le compte du client pour le futur.
Si cette compagnie est interceptée ou inspectée par Contrôle Routier Québec ou une autre entité, son dossier indiquerait qu’elle doit de l’argent (garantie de paiement) au gouvernement, au même titre qu’un constat d’infraction impayé. Lors d’une interception, cette situation pourrait entraîner une invitation à régler immédiatement, sous peine de voir le véhicule saisi.
Lorsqu’une entreprise de camionnage, ou dans le domaine automobile, qu’elle soit située au Québec ou hors Québec, laisse des véhicules non réclamés, cela pose de sérieux problèmes. Des situations comme celle de Chapais, ou encore celle survenue dans le parc des Laurentides la semaine dernière, où un Driver Inc a causé l’enlisement de deux camions de Guilbault, illustrent bien cette problématique.
Le gouvernement doit impérativement prendre ses responsabilités et trouver des solutions concrètes pour régler le problème des Driver Inc et régulariser cette situation. Ce fléau ne se limite pas à affecter les transporteurs du Québec et du Canada : ses répercussions sont profondes et touchent toute l’industrie du remorquage, ainsi que les différents paliers de notre société. Qu’il s’agisse de la sécurité routière, de l’équité économique ou encore de l’impact sur notre filet social, les enjeux sont majeurs et nécessitent une intervention rapide et concertée.
Pour mieux comprendre l’ampleur de ces défis et explorer les pistes de solution proposées, écoutez l’entrevue complète que nous avons réalisée avec M. Breton, PDG de l’APDQ. Il y partage son expertise et ses réflexions sur les problématiques qui frappent l’industrie :
Sophie Jacob possède une solide expérience et des qualifications notables dans le domaine de l'édition. En tant que rédactrice en chef chez Truck Stop Québec, elle supervise attentivement le contenu éditorial des articles, des actualités et du programme radio. Elle joue également un rôle actif dans la recherche d'informations et la création de contenus pour les réseaux sociaux, ainsi que dans la réalisation de segments radio de qualité.